"Caelum non animum mutant qui trans mare currunt"

1 de enero de 2013

▪ Writer vs. Words



Ils ne sont jamais neutres, les mots, ils déforment tout, ils nous chassent des pays merveilleux de l'enfance, ils nous circonscrivent, nous limitent et nous censurent et quand nous entrons dans une langue, nous ne savons pas dans quoi nous entrons, mais c'est une religion, c'est une cathédrale, c'est une maison, c'est un vêtement et nous aurons beau faire et beau nous débattre, nous sommes pris. Il n'y a plus de pureté possible, le regard s'amenuise, l'œil ternit, on nous aveugle lentement et notre seul effort doit consister à retrouver la vue, à réapprendre à voir, mais entre nous et ce que nous sommes vraiment se tient la barrière de milliers de mots, avec leur histoire, leur découpage, leur référents, leur poussière, leur passé, leurs déformations, leur tristesse. Et la seul issue pour moi actuellement c'est la fuite accélérée de cela qui me rejoint toujours, qui me rejoint tellement vite, qui se jette sur moi et m'empêche de voir, qui me bouche la vue, qui me bouche la liberté. Je ne veux pas devenir aveugle. Il n'y a personne au monde qui puisse me donner ma liberté, pas même les plus grands ni les plus libres des hommes, parce que le mot grand et le mot libre et le mot homme sont encore des mots. Je déteste les mots, tu sais, oui je suis écrivain et je déteste tous les mots qui me poursuivent et me harcèlent et me persécutent et le mot écrivain est un de ceux-là parce que c'est quoi ça, être écrivain, penses-tu? Est-ce que je suis écrivain quand je te parle, quand je prends l'autobus, est-ce que je suis écrivain dans mon bain, quand je mange ? Et toi qui me prends pour un écrivain, qu'est-ce que tu penses que je suis, un mot?

Voyage en Irlande avec un parapluie, Louis Gauthier