"Caelum non animum mutant qui trans mare currunt"

6 de septiembre de 2012

▪ La seul vrai mort: l'oubli



Regardez autour de vous et regardez-vous vous-même: le monde grouille d’assassins, c’est-à-dire de personnes qui se permettent d’oublier ceux qu’ils ont prétendu aimer. Oublier quelqu’un : avez-vous songé à ce que cela signifiait ? L’oubli est un gigantesque océan sur lequel navigue un seul navire, qui est la mémoire. Pour l’immense majorité des hommes, ce navire se réduit à un rafiot misérable qui prend l’eau à la moindre occasion, et dont le capitaine, personnage sans scrupules, ne songe qu’à faire des économies. Savez-vous en quoi consiste ce mot ignoble ? À sacrifier quotidiennement, parmi les membres de l’équipage, ceux qui sont jugés superflus. Et savez-vous lesquels sont jugés superflus ? Les salauds, les ennuyeux, les crétins ? Pas du tout : ceux qu’on jette par-dessus bord, ce sont les inutiles – ceux dont on s’est déjà servi. Ceux-là nous ont donné le meilleur d’eux-mêmes, alors, que pourraient-ils encore nous apporter? Allons, pas de pitié, faisons le ménage, et hop ! On les expédie par-dessus le bastingage, et l’océan les engloutit, implacable. Et voilà, chère mademoiselle, comment se pratique en toute impunité le plus banal des assassinats. 

Hygiène de l'assassin, Amélie Nothomb
  
    
 

No hay comentarios: