RUE CHERRIER
Montréal n'est plus une ville de province. Des tas d'étrangers nous rendent visite pour le plaisir. C'est du moins c'est qu'ils nous disent. En toute civilité, ne devrions-nous pas leur apprendre ce que nous sommes et c'est qu'est réellement notre métropole? Je songe surtout aux choses de l'esprit, dont les associations touristiques s'occupent mal. Nous vantons trop peu nos richesses culturelles, notre Place des Arts, nos théâtres.
Un touriste sait au bout de quelques heures à Montréal que le poisson le plus frais en ville s'achète rue Saint-Laurent, que la marijuana se débite à ciel ouvert rue Saint-Denis et que la rue Prince-Arthur est en partie piétonnière. Mais pourquoi ignore-t-il que la rue Cherrier est de loin l'artère la plus intellectuelle de la cité? Y a-t-il en effet une seule calle où l'on trouve à la fois autant d'écrivains? Pendant longtemps la Palestre Nationale a donné le ton dans cette strasse. Depuis quelques années, toutefois, les jeux de l'intellect ont remplacé ceux de la musculature. Cette activité, nous la devons à un modeste syndicat d'écrivains, dont on ne vantera jamais assez le dynamisme.
Le Paris de 1925 pouvait compter sur Montparnasse, Bloomsbury a transformé le climat littéraire londonien du début du siècle, mais que serions-nous sans cette modeste mais robuste via Cherrier? Elle a l'air si petite quand on la compare à la gigantesque mais insignifiante rue Sherbrooke. C'est que sa grandeur est tout intérieure. Les gens de lettres qui vont et viennent dans cette rue, pliant sous le poids de serviettes bourrées de documents, de manuscrits, de billets d'avions et de demandes de bourse, lui ont donné sa grandeur.
La concentration de talents est telle dans cette street que je n'ose m'y promener pendant les heures habituellement réservées au commerce. Les poèmes et les romans, les conférences et les lectures publiques s'y transigent comme à la Bourse. La nuit tombée, l'endroit paraît inhabité. Les gens comme vous et moi peuvent y déambuler, grisés par les effluves de la Création.
Par définition les touristes n'ont pas nos scrupules. Ils se joindront sans vergogne au Gotha littéraire québécois même pendant les heures ouvrables. Comment nos écrivains, si pudiques, si discrets, réagiront-ils? Voyageront-ils encore plus?
Le Regard oblique, Gilles Archambault
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